Following

Table of Contents

Chapitre 1 : Un Brim de soleil à Tymanchebar Chapitre 2 : La Mer des Lamentations

In the world of Legends of Arcanterra

Visit Legends of Arcanterra

Ongoing 1349 Words

Chapitre 2 : La Mer des Lamentations

90 0 0

C'est un matin ordinaire, et je me dirige vers la Taverne de la Voile Salée. Conformément à ma routine établie depuis plusieurs mois, je prends place à la même table bancale dans le coin adjacent au comptoir et je demande au tavernier de me servir sa célèbre boisson, savoureuse et sucrée, faite à partir de houblon et d'orge. À peine la première chope descendue, une autre commence à glisser sur la table. Le bruit des chopes qui s'entrechoquent résonne dans la taverne bien silencieuse en ce milieu de matinée. Surpris par l'apparition inattendue de cette seconde bière que je n'avais pas encore commandée, je me précipite sur elle, avide de la déguster.

Après avoir savouré ce précieux breuvage, je redresse la tête et mes yeux se tournent vers le généreux bienfaiteur. Eh bien ce n'était pas un bienfaiteur mais une bienfaitrice, une tiefeline, elle aussi. Des yeux verts, une peau rouge clair, de longs cheveux noirs et ondulés, un doux visage devenu rude à force de travailler dur et d’être nourri de colère… Par la barbe cornue d'Asmodée, elle est vraiment là, devant moi en chair et en os, cette Nemeia. Je ne pensais pas la revoir un jour. Pas depuis qu'elle a fini en servitude chez les Durassard. Je lui avais bien dit de ne pas s'en approcher, mais il faut toujours qu'elle n'en fasse qu'à sa tête.

« Alors ? T'as pas des choses à me dire ? » me lance-t-elle d'un ton accusateur, telle une mère prenant son enfant la main dans le sac - et moi, je me tiens là, tel un sot ne trouvant ses mots, les yeux écarquillés, peinant à réaliser qui est assis face à moi, de l'autre côté de cette table marquée par les années et maculée à jamais par les diverses boissons, vomissements, et autres fluides corporels au sujet desquels je préfère ne pas questionner le tavernier.

Alors je bafouille, et je me confonds en excuses. Incapable de trouver les mots justes, un flot d'incohérence s'échappe de ma bouche. Elle remarque que je ne trouve pas de réponse, elle insiste, et me lance un « Je croyais que tu tenais davantage à moi », l'air déçu. Il y a tant de pensées qui me traversent l'esprit, tant de choses que j'aimerais lui exprimer, tout ce qui pèse lourdement sur mon cœur, combien je me reproche de ne pas avoir été présent pour elle. Les remords, la solitude, l'alcool…

Mais il m'est vraiment très difficile d'exprimer tout cela, c'est trop réel. Réciter un poème sur deux amoureux délaissés par leurs familles, qui se détestent mutuellement, et dont le destin semble tragique ? Aucun souci. Chanter les péripéties d'un drakéïde sensuel dans des situations exotiques et les incidents qui en résultent ? Je ne suis pas du tout inquiet de ma performance.b Mais alors admettre que j'ai fauté ? Que je l'ai laissée à son triste sort et que j'aurais dû être là pour elle ? Que j’aurais dû me rendre chez les Durassard pour plaider sa cause et que je regrette de n'avoir rien fait ? Que la culpabilité me ronge constamment, et que depuis je ne consomme plus d'alcool par plaisir mais pour oublier ce que j'ai fait ? Ce que je n'ai pas fait ? Ce que j'aurais dû faire ?

C'est bien au-delà de mes forces. Je ne suis qu'un homme faible et décadent, qui se délecte de ses propres échecs.

« Quand tu as vu le traitement que les Durassard me réservaient, pourquoi n'as-tu rien fait ? Tu n'as même pas levé le petit doigt. » me reproche-t-elle. « Je t'écoute ? Qu'as-tu à dire pour ta défense ? » m'accuse-t-elle. « Pourquoi tu ne dis rien, Malron ? Tu avais pourtant la langue bien pendue autrefois, » persévère-t-elle avec acharnement.

« Boaaah, à qui la faute en même temps ? Hein ? » À qui la faute ? C'est tout ce que je trouve de mieux à lui dire ? « Tout le monde t'avait mise en garde. Je t'avais dit de ne pas t'approcher des Durassard, idiote. »

Mais que suis-je en train de dire ? Pourquoi ai-je ce besoin de lui faire porter la responsabilité ?

« Tu aurais dû écouter les conseils des plus avisés de notre communauté, cela t'aurait épargné bien des désagréments, tu n'es qu'une enfant naïve et mal élevée. »

Pourquoi suis-je ainsi ? Dans l'incapacité d'exprimer véritablement mes sentiments, de présenter mes excuses, et de la serrer dans mes bras en lui affirmant que tout ira bien ?

« Fallait que t'en fasses qu'à ta tête, comme toujours, ingrate. » Lui rétorqué-je. Mon estomac se contracte et se noue, une amertume envahit ma bouche, accompagnée d'un sentiment profond de dégoût envers moi-même.

« Bah fallait peut-être mieux m'éduquer ! » me répond Nemeia, comme si j'étais à l'origine de tous ces maux.

Elle fronce alors les sourcils, je peux presque sentir des coups de poignard qui transpercent mon cœur face à son regard. Elle se lève de sa chaise, et conclut d’une voix plus sombre, « Je ne regrette pas ce qui s'est passé avec les Durassard. Au moins maintenant, je sais à quoi m'en tenir avec toi. Compter sur toi a été une erreur de ma part. Sur toi et ton manque de loyauté. Tu es un petit homme, Malron, couard et faible. Je te plains sincèrement, de tout cœur. Je te remercie encore pour toutes tes leçons, pour m'avoir transmis ton savoir. Heureusement, je n'ai pas hérité de tes mœurs. » 

Sur ces mots, je détourne le regard et replonge dans ma chope de bière. Quant à elle, j'entends le bruit du plancher qui craque sous le mouvement des pieds de sa chaise. Je termine ma bière alors que ses pas s'éloignent peu à peu, leur écho résonnant dans mon esprit. Tandis que le silence se fait désormais écrasant, ses mots tournent encore dans ma tête. Elle a raison de me blâmer, de m'accuser. Je ne suis qu'un lâche qui n'a pas su prendre soin de sa protégée quand elle avait besoin de moi.

Pour étouffer les critiques, je commande une troisième bière. Pour noyer les reproches, j'en fais venir une autre.

La pile de chopes finit par basculer dans un fracas assourdissant, et je sens le verre brisé à travers mes bottes. Le propriétaire refuse de me servir plus en arguant que j'en ai déjà eu trop. Qu'est-ce qu'il en sait, lui ? Je ne le paie pas pour me choyer, mais pour me gaver d'alcool. Je peine à quitter la Voile Salée, et je m'écroule sur le trottoir qui me servira de coussin pour la nuit à venir.

Je me réveille sous les rayons du soleil, me réchauffant après une nuit passée sur le trottoir. Avant de retourner à la taverne et de reprendre le même cycle que la veille, je tapote mes habits pour en enlever la poussière. Ce processus se poursuit encore pendant quelques jours. Je me lève de bon matin sur le trottoir en face de La Voile Salée, je retourne à l'intérieur pour commander comme la veille, ingurgitant autant d'alcool que possible, noyant ma tristesse jusqu'à perdre la raison, et je finis la journée inconscient dans le caniveau.

Les jours se ressemblent et ne se suivent pas.Tout est nébuleux dans mon esprit, et je ne parviens plus à déterminer quel jour nous sommes.

Toutefois, ce matin-là, je me réveille avec une certaine lucidité. Une pensée me traverse l'esprit. Il reste deux Durassard encore en vie. Tant qu'ils sont en vie, ils représentent une menace pour Nemeia. Une menace pour Nemeia, et un rappel que je n'ai pas été présent pour elle. Je sais ce que je dois faire. J'ai ouï-dire qu'ils envisageaient un voyage à Tourazur pour rendre hommage à un membre de la famille royale décédé. C'est là que je porterai mon coup.

Dans l'éventualité où je ne reviens pas, à toi ma·on précieux·se Bibingou, je cède mon studio et te confie la garde de mon zulkoon roussi. Si un jour Nemeia vient à te le réclamer, je te prie de le lui remettre.

Please Login in order to comment!